PanGea /IX
IX
Il
tenait la petite paysanne par la main. Il lui serrait la main très fort.
Pourquoi s’était-il autant attaché à elle ?
La
charrette grinçait de temps en temps : il y avait dessus le poids léger de
leur mère étendue, des trois petites sœurs et leur morveux de petit frère.
Il
y avait ces mille pierres du chemin qui n’arrachaient plus la moindre plainte à
la mourante. Puis ce sentier trouvé dans les soulèvements de terre rouge.
L’homme de la ruelle avait parlé d’un chemin pour eux semé d’éclairs.
C’est
ainsi que les images arrivaient : surprendre le tronc blanc d’un arbre,
une odeur de mangues pourrissantes, ce sentier qui luit sur la montagne d’en
face…
Ils
allaient devoir marcher là-haut… Déjà la chaleur les accablait. Les petites
reniflaient ou chassaient les mouches. Petit frère stupide jouait à vouloir
accélérer les pas de la mule – la frappant d’une trop courte tige de bambou
vert et cassant.
Sûrement,
Père et Grand frère se trouvaient encore de ce côté-ci du monde… S’ils
étaient morts au loin, ils seraient venus aussitôt entourer Xi-Jîn et les
siens, sous leur forme d’esprits incrédules – leurs petites voix bien
reconnaissables dans cette nuée de mouches…
Chân sent la petite main brûler dans la sienne.
«
Comme j’ai envie que tu grandisses…Ces esprits serpents que j’ai su
éveiller, qu’ils fassent couler nos années plus vite que le torrent… Xi-Jîn,
nous serons un jour mari et femme, le veux-tu ? »
Xi-Jîn
n’entendit rien…
Chân
n’avait pas entrouvert la fleur de son esprit.
*
– Chân…
– Et bien ?
–
Ma mère… que va-t-il lui arriver ?
– …
Il
ne répond pas. Il a de grands yeux sombres qui font frissonner. Des cheveux qui
tombent sur le regard, comme une brassée de chaumes déplacés par le vent. Son
visage fait penser à ces maisons obscures où brille une faible lumière.
Elle
voudrait se réfugier dans l’ombre de ses cheveux ; regarder la pluie sous
la caresse de ses cils, blottie contre ses joues rêches.
Elle
regarde le duvet noir par dessus la grande bouche qui s’ouvre :
–
Ta mère ne vivra plus longtemps sous cette forme… Ne la pleure pas ! On
s’accroche toujours à sa forme ancienne… à quoi bon ?
– Elle a mal, sûrement…
– Si nous la retenons, elle
souffrira toujours plus…
Mais
elle ne pense plus à sa mère – Chân vient de lui parler longuement par le
souffle et les lèvres.
Alors
elle rapproche son visage du sien.
–
Qu’est-ce que tu fais, Xi-Jîn ?
–
C’est pour frotter ton nez au mien…
– Comme tu veux… mais pense que je
ne suis même pas ton frère…
Il se prête brièvement à son jeu ; pose ses mains sur ses épaules ; découvre sur sa tête six petits nouets de cheveux sombres :
–
Ces petits hommes que tu as sur la tête…
–
C’est eux qui me protègent : ils sont six…
– Drôles de Gardiens… Ils t’ont
laissée m’approcher…
–
Ils t’aiment bien…
Elle rit de lui voir ce joli sourire – si vite éteint.
( ... à suivre... )
... pour ce dimanche 20 juin aux aurores !
*
... et le regard de
Sarah
peint par Barbara
vous attend à l'article ci-dessous !
Texte, illustrations & photographies
(sauf pour 8) :
DOURVAC'H
(1), (2) , (3) Trois ouvertures en ciel, Viviès (Ariège), juin 2010
(4), (5) , (6) Nid de Grives musiciennes au Cerisier, Viviès, juin 2010
(7) Roses-soeurs à Viviès, 14 juin 2010
(8) Sarah brodeuse (détail), oeuvre de BARBARA DELAPLACE, huile sur toile, mai 2010