Julie W. & Franz K. (Deux à trois coeurs romantiques)
Julie Wohryzek & Franz Kafka
... se rencontrèrent un jour (glacial) de janvier 1919 à Schelesen (Zelizy), dans une pension de Bohême au nord de Prague (Praha) : la République tchèque venait de naître l'année précédente.
Espérant simplement que notre futur petit roman sera digne de ces belles âmes et "vrais personnages"...
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(*) son titre provisoire : Un amour de Franz K.
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[extrait : incipit]
I
LA PENSION
Poussant la lourde grille de la pension : comme j’aime son joli grincement ! Un chant dans la neige.
Si près des yeux, sa double rangée de flèches.
Ecailles de métal peint sous la pulpe des doigts – rouille émeraude qu’on aime caresser longtemps, comme le dos d’un lézard immobile.
Est-elle déjà là ?
Pas un mouvement aux rideaux.
Pas encore rentrée…
*
Quand je l’ai aperçue ici pour la première fois, Julie avait ce regard grave – yeux sombres fixant la toile cirée dans la salle-à-manger obscure ; résolvant je ne sais quelle énigme dans les quadrillages rouges et blancs.
Visage fragment de lune dont j’admirais le profil.
Cou fléchi de jeune cygne malade.
Tu étais là, seule et voûtée dans un restant de jour ; semblant ne plus rien attendre de la fin d’un voyage exténuant.
Derrière toi, la blancheur du dehors ; je la vois qui perce les minuscules carreaux des si hautes fenêtres de la Stüdl.
*
Solives de bois sombre par-dessus nos têtes ; je remarque dans ce moment l’odeur du plâtre humide ; cette parole criée par le vieil homme près de la fontaine : « L’Elbe s’est mise à geler au nord de Liboch. »
Tu es là et je dois me courber pour avancer.
Avec cette peur que tu ne t’enfuies ; mon souffle retenu.
N’as-tu pas senti mon approche ?
Devrais-je m’avancer davantage ?
M’immobilisant près de toi : mon bras n’a qu’à se tendre vers ton épaule…
*
« Chap nisht ! » (1)
Je me découvre immense – toujours debout. Trop près de toi.
Combien d’heures avant ma venue ? A te surprendre, ainsi figée sur ton banc.
*
C’était à Schelesen, au cœur de l’hiver. Dans cette salle interminablement longue, basse et étroite : la pièce la plus énigmatique de la pension où nous allions demeurer – deux, seulement deux !
« Der epel falt nisht veit fern dem boim. » (2)
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(1) [yiddish] Ne te précipite pas !
(2) [yidd.] La pomme ne tombe pas loin de l’arbre.
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Gerti Wasner
(en souvenir nostalgique d'une belle rencontre sur les bords du Lac, Riva Della Garda : septembre 1913)
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[extrait chap. 2]
Je ne sais pas parler du bonheur.
N’est-il pas temps que j’apprenne ?
Un pas, puis deux dans la lumière…
Comme un enfant apprend à marcher.
*
Petit roman nouveau qui devrait être prêt - comme je l'espère - pour l'été 2015...
*
Grand Large (2013)
(vu ici par une auteure et lectrice de notre site communautaire Babelio)
Waouh ! Quel texte ! D'une puissance, d'une finesse ! On oscille entre le vocabulaire de la petite Clara, enfantin et touchant, les descriptions picturales, petits tableaux magiques déclinés par petites touches et les pensées du narrateur, être torturé, tant mentalement que physiquement puisqu'il se laisse aller dans une déchéance crasse. Cet artiste tiraillé entre ses deux enfants, la mort d'un côté et la vie de l'autre, m'a fait penser à ces poètes romantiques du XIXe siècle, déchirés par la disparition de l'être aimé, clamant leurs vers douloureux dans des paysages souvent composés d'éléments aquatiques. Bruno est devant les falaises comme Lamartine devant son lac.
Vous l'aurez compris, j'ai adoré ce texte délicat qui ne peut laisser indifférent. (...) "
Avec lui, l’écriture vient du cœur, elle prend une signification singulière quand il décrit ses personnages, il y a une dimension d’humanité que l’on ne retrouve nulle part ailleurs.
Bruno, un peintre raté qui après avoir perdu son fils sombre dans l’alcoolisme et la solitude. Seule sa petite princesse Clara lui permet de garder la tête hors de l’eau.
Jusqu’au jour où il rencontre Rose qui à travers la fraîcheur d’un de ses tableaux tombe sous le charme de cet homme cabossé par la vie. Et à partir de ce moment tout bascule, sa misérable existence prend un tour particulier… « les enfants sont des magiciens » tant il est vrai qu’ils peuvent transcender l’existence des adultes.
Un petit roman à l’écriture fluide qui se lit très vite, un style entre pudeur et retenue, entre nostalgie et espoir. Avec en écho des paysages à la Caspar David Friedrich. A découvrir pour prendre le large."
Regarder la mer empêche de mourir.
Je l'ai ressenti la première fois ce printemps dernier. J'ai regardé l'heure à ma montre : des puits de lumière dansaient à la crête des vagues. J'ai dû fermer les yeux un moment...
À qui confier pareils secrets ?
*
L'air de ce matin m'enchante – aussi les cris stridents des sternes, leur doux manège de marée montante... Tant de points scintillants dans ce tableau, tant de lumière blanche !
Un bruit sec, frais : elles ont plongé dans l'écume et les voici, têtes ruisselantes – issues des flots et se hissant jusqu'au ciel...
Vous vient l'envie de parcourir avec elles cette langue de sable infinie...traverser ces parois de cristal... fuir dans l'absence de limites...
Ne sommes-nous pas venus du fond des océans, un jour ?
*
Môminette chantonne près de moi, s'en donne à coeur joie... sa petite chanson bien en tête...
Ne s'occupe pas du reste...
Accoudée à sa petite table de camping gondolée – petit bras blanc recourbé sorti d'une manche de robe fleurie : Clara dessine.
Un beau motif pour moi, son père et peintre en devenir...
J'avais treize ans et mon frère venait de se marier. Quelle année était-ce ? J'ai oublié... Sa chérie s'appelait Rosemarie.
Je ne sais pas pourquoi je m'en souviens puisque ce fut si vite fini, elle et lui...
A l'époque, non. A l'époque, tout était important...
Tout commençait ! ... pour lui... pour moi...
D'abord pour moi ! A cause de... (Honte à moi !)... son départ.
Pourtant je l'aime bien, mon frère !
Mais le plus chouette : sa chambre sous les toits...
Ce qui est devenu mon repaire.
Bon ou moins bon, je suis sûr que tout vient de là...
De là-haut...
*
L'été arrivant, j'étais certain qu'on m'y laisserait tranquille... Toute la nuit, je pourrais là-haut garder ma fenêtre grande ouverte sans qu'on croie m'obliger à la refermer ; l'air frais des grands arbres du fond de la combe viendrait me trouver dans cette chambre bizarre, haute et mansardée, où je pourrais m'enfermer... Lire jusqu'à ce que mes yeux brûlent... Savoir que je quitte pour toujours l'âge des gosses...
Cet été que j'aimerai longtemps.
Aussi à cause d'elle.
*
Au début, je la connaissais par son drôle de surnom. Elle se donnait des airs de garçon manqué et se faisait appeler Chris. Une vraie tête de mule...
J'ai pensé que c'était une façon de se donner un genre... Un genre qui collerait exactement à ses cheveux mi-longs et son air sauvage.
Avec sa tête bien féminine, « Chris » s'accorde finalement à ce qu'elle a décidé d'être : quelqu'un qui oublie de ressembler à d'autres...
En fait, elle déteste parler de Christine, qui était son premier prénom : « prénom de tout le monde »... (Mais où va-t-elle chercher ça ?)
Chris n'est vraiment pas comme les autres...
– Te faire appeler Chris… Tu trouves pas que ça fait garçon ?
– Et alors ?
Vite prendre l'air de s'en fiche :
« Et alors : rien. C'est toi qui sais... »
Vient le moment où son regard s'évade sous sa frange droite :
– Toi, tu t'appelles bien Valentin, non ? J'ai entendu tes parents bramer ton nom dans la combe...
– … bramer ! … y a qu' les cerfs qui brament. Laisse les parents en dehors de ça...
– Monsieur est vexé... Et c'est quoi, ça ?
( … mon secret... « ça »... notre rencontre...)
Changer de sujet ! Cette fouine aux longs cils renifle déjà autour de mon nom familier...
Comme si elle lisait dans mes pensées ; ses yeux noirs qui s'allument :
– Moi aussi je pourrais te dire... Val ?
– ... mmh... (froncer les sourcils) ... okay, miss Chris !
Dire « Okay, Miss ! » vous évite généralement d'avoir l'air idiot.
Bon sang, que j'aimais ses yeux, déjà !
Et son prénom qui crisse comme le crin des chevaux.
Val et Chris, le beau couple...