L'été et les ombres (Chapitre 10 /début...)
10
Sirène
On ne dit jamais adieu à ce qui reste d'enfance.
Chris... il n'y avait plus de Chris...
Chris ne s'était pas enfuie : elle était morte ici.
Grazziella était revenue au pays : neuve, avec parents et frères adoptifs dans son sillage.
*
" J'ai été placée, tu comprends ? Placée, tu ne sais pas ce que c'est... mise quelque part. Tu as l'impression qu'on te met n'importe où, que ça ne collera jamais... Puis, ils doivent penser tous que tu as vu bien pire... "
Alors tu m'as raconté comment l'autre était mort - lui pour de vrai - à la fin de notre été...
Plusieurs "crises"... il paraît que le foie et la tête éclatent en même temps... rien ne se voit à l'extérieur... tout se passe dans les nerfs... Il s'est mis à avoir des mouvements désordonnés - exactement comme un chien qui se noie ! L'occasion pour toi de se dégager de son corps... Puis il s'est raidi, s'est remis encore à trembler... avec ses lèvres bleues qui dégoulinaient de salive rose... jusqu'à ce que son gros torse de morse ne bouge plus ! Ses yeux vitreux aux paupières retournées brillaient encore...
Plusieurs fois comme ça, avant que ça finisse.
L'épilepsie de trop de bière... ou peut-être toutes ces bosses du foie...
... ça l'a tué : c'était temps !
" C'était un soulagement, tu comprends ? Est-ce que ça aurait pu se terminer autrement ? Seule maman a été surprise - triste, même... Elle s'est arrêtée de boire prendant trois jours : le temps de l'enterrer...
On était deux... elle et moi... et le curé !
Le soleil cuisait la peau. Je me souviens aussi de ma robe : la plus belle qui me restait pour l'enterrer... Après, je l'ai jetée...
Maman qui était pâle, pleine de tics, tremblante... Je voyais bien qu'elle tenait à peine debout ! Elle n'avalait plus rien, buvait à peine... Elle est rentrée à l'hôpital dès le lendemain ! Elle commençait à délirer... à me prendre pour sa mère qu'elle n'a jamais connue... Elle ressemblait vraiment à une enfant malade, avec son visage fripé, ces yeux tout luisants... pleine d'angoisse, toujours... Elle m'appelait... Elle disait : "Je vais mourir, j'ai peur... " puis l'instant d'après : "Dis, je ne vais pas mourir au moins ? "... Elle m'appelait encore, "Maman ! ", et m'entourait le bras en griffant... et moi, j'avais envie d'être sa mère - c'est horrible... tu ne trouves pas ? "
... bien sûr ! Mais je ne suis pas à ta place...
Chris ou Grazziella... Je respire juste tes cheveux merveilleux lissés sur le haut de ta tête qui murmure - ton doux poids contre mon épaule.
(à suivre...)
*
photographies :
DOURVAC'H
Viviès (Ariège), 10 mai 2009