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Regards Féériques, Forêt de Fées & Rêves
18 juin 2008

Mlle Esis "Au Jardin"

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Au Jardin

Le mystérieux titre de la dernière œuvre de Dourvac'h a décidément un fort pouvoir d'évocation.
Bien avant que de me plonger dans cet enchanteur et angoissant récit, le terme d'"au jardin" a fait sortir de ma mémoire des images à peine endormies de mon passé, en ces temps reculés (si bien que l'on se demande – tant les réminiscences sont floues, éloignant alors leurs perceptions intrinsèques de notre ressenti actuel – si tout cela a bien existé, ou si nous ne venons pas juste de naître, déjà adultes, avec, surnaturellement ancrées dans notre esprit, des images d'une enfance fantasmée que nous ne vivrons jamais !) où la mort, malgré la conscience dormante que l'enfant avait de son existence irrémédiable, semblait bien loin, temporairement vaincue par cette promesse d'une vie future plus mélancolique et absolue encore que celle que l'enfermement dans son imaginaire lui faisait alors vivre – vie qui serait transcendée par l'idée apeurante de la mort elle-même ; mort qui, en retour, serait sublimée dans toute sa dimension tragique et romantique par l'épanchement final du  « Songe dans la vie réelle » (Nerval), de « l'esprit dans la Vie » (Artaud).

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Ainsi, j'évoque là ceux qui furent les littéraires compagnons de route de la jeune Emma Rouault (future Bovary), Juive (ici à prendre au second degré) errante de l'ultra silvam, pays matriciel de l'au-delà de la ville que jamais aucune figure familiale ou enfantine vivante ne chercha à détruire, mais qu'elles fortifièrent plutôt de par leur langage destructeur, forteresse dont elles seules possédaient la clé, condamnant ainsi l'être en devenir à ne jamais venir au monde et à rester dans cette non-existence terrestre atroce et que seule la fuite semi-efficiente dans la fantaisie et la littérature pouvait lui faire temporairement oublier.
Sophie (l'infortunée Sophie, figure par excellence de la renaissance !), Paul, Camille, Madeleine (Les Malheurs de Sophie), Augustin, François (Le Grand Meaulnes), bien d'autres encore, furent donc les figures inanimées et vaines de l'accueil pour Emma, pourtant si insouciantes et narcissiques dans leur monde réduit de papier, mais qui auraient sans nul doute consenti – si elles s'étaient incarnées sur Terre aux mêmes temps et lieux qu'Emma – à lui faire une place dans leur monde, puis dans le monde entier pour finir, à cet âge où tout le destin de l'individu dans son introduction par Autrui au monde se jouait.
Mais que ces souvenirs imprécis ne servent pas plus à flatter l'ego de l'auteur de cette chronique qui, par pudeur plus que par prétention, a librement usurpé le patronyme d'Emma Rouault Bovary, et considérons-les plutôt comme mises en abyme prégnantes de l'univers d'Au Jardin.
 

Cependant, bien avant que d'aller se renfermer dans le monde forclos de Carine et Damien, il convient de présenter l'auteur des jours de ces deux charmants enfants, j'ai nommé Dourvac'h !
À l'heure où les rapports humains tournent à la pseudo-compassion (ici, il s'agit effectivement de "pseudo-compassion", puisqu'au sens où je l'entends elle résulte d'un sentiment personnel et hypocrite de se donner bonne conscience, et non pas du processus naturel d’empathie), se vident de sincérité (n'en témoignent certains types de relations internétiques...) et se machinisent, amputant les êtres de la pensée et de l'imaginaire ; où l'Art devient un business comme un autre, le plus souvent au détriment de la Beauté et du Sens qu'il doit créer et traduire ; il devient important de détourner la déshumanisante Mère Technologie au profit de la survie d'une certaine idée de l'Humanité, que Dourvac'h nous signifie très bien sur son site.
En outre, l’artiste s'emploie, depuis novembre 2006 à l'aménagement d'un "site-fée", cette caverne panesque où Nature et Culture s'unissent dans une étonnante simplicité.
La Culture, en effet, sublime la Nature, et celle-ci sert de sujet à la Culture. Et, si la nature est avant tout une masse informe qui nous est indifférente, il n'y a que l'Art pour la transcender (si nous n'y sommes pas sensibles comme aux premiers âges), et nos regards pour s'en émerveiller, Regards Féériques que tout Promeneur peut poser sur les objets (et c'est en cela que la subjectivité et la Culture subliment), ou bien que la beauté de l'objet peut "attraper" (si, en sens contraire, on admet que la Beauté et le sublime sont universellement définis, ce que l'on peut justifier par la relation fusionnelle primaire que nous entretenions avec le Tout...).

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L'écriture poétique enfantine et somme toute assez féminine de Dourvac'h (ce qui a valu à notre auteur quelques petits malentendus...) se fait discrète face aux peintures, sculptures ou autres photographies exposées dans la caverne, nous laissant ainsi au plaisir de la contemplation. Cet "effacement" scriptural et linguistique au profit de représentations picturales colorées et simples du monde nous ramène ainsi en toute logique à l'infans, où l'être en devenir, qui n'avait pas encore le langage (traduction littérale de infans, qui a donné "enfant"), – outil qui sépare de la relation fusionnelle primaire au monde et individue l'être en faisant de lui un élément totalement détaché de la nature, accédant du même coup à l'Altérité –, voyait en chaque manifestation naturelle (météorologique, par exemple) ou humaine (comment ne pas penser à la période de Noël ?), même la plus banale, un enchantement qu'il vivait aux premières loges, comme s'il était lui-même ces phénomènes, dominé en cela par l'immédiateté des sensations. Les regards féériques que nous jetons donc dans cette malle aux souvenirs ne peuvent qu'être ceux que nous posions sur le monde en tant qu'enfants... croire aux fées afin que celles-ci nous marquent de leur sceau, à l'entrée de la caverne...  L'artiste s'évertue donc à nous faire retrouver une âme "d’enfant civilisé". Et impossible que la magie ne prenne pas !
Les paysages ariégeois servent de décor extérieur, et sont immortalisés par notre auteur, qui sait repérer et capturer avec justesse le moindre extrait éphémère de la nature. Emprisonné par la lumière, le monde dionysiaque semble ainsi sublimé par un voile fin, ce même voile troublant de l'Éternité (dont j'ai maintes fois parlé, en évoquant l'immortalité et l'éternelle jeunesse d'un certain Dorian Gray, immuable dans un monde qui bouge et se renouvelle sans cesse...), qui, platoniquement et mélancoliquement, rend immortel ce qui n'est voué qu'au moment. Et nous frissonnons de nouveau devant le mystère universel et son ineffabilité...
Mais Dourvac'h est aussi un formidable dessinateur d'âmes, doublé d'un conteur, et réaffirmant, via l'auto-édition, la nécessité de faire survivre une certaine idée de la littérature, privilégiant l'évasion, l'imaginaire, le Sens universel de toute chose, et sublimant notre si morne monde actuel, qui semble irrémédiablement condamné au désenchantement et au vide caractéristique de l’époque.

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L'auto-édition (1) s’impose donc comme l'avenir dans le domaine de l'édition, et le seul moyen d’être publié lorsque les grandes maisons ont (démagogiquement) refusé vos manuscrits. Directe et sûre d'aboutir, elle confère la totale liberté à l'auteur sur toutes les étapes de la publication.
De plus, puisque le désir d'atteindre l'immortalité anime avant tout cette volonté de voir son œuvre publiée et commercialisée à grande échelle, alors sa réalisation grâce aux entreprises de renommée ne nous en donnera pas pour autant l'assurance : surtout pas à l'heure actuelle, où il n’y a jamais eu autant de livres publiés à la pelle, et passant le plus souvent inaperçus !

Influencé par des peintres (C. D. Friedrich, Carl Larsson...) et écrivains (Maupassant, Verne, Poe, Balzac, Gracq, Seignolle, Vesaas, Buzzati, etc.) au pinceau et à la plume romanesques, Dourvac'h vous accueille en sa caverne de tous les possibles, animiste et romantique, où les âmes aiment sortir des cadres pour voler de roche en roche, lorsque la nuit tombe et que les Promeneurs désertent dans le monde du sommeil (où les songes menacent sans doute de prendre le pouvoir sur leurs propriétaires...). Tout le talent de l’auteur est de nous faire oublier le leurre du seuil (notion sur laquelle je reviendrai longuement avec la réédition de ma chronique sur Yves Bonnefoy et de ses Planches Courbes) et de nous ramener le mieux possible à l'immédiateté des sensations, comme si nous étions dans une véritable forêt à la fraîcheur surnaturelle et aux effluves exotiques de mille fleurs charriées par le vent, éternellement libres de courir sans contrainte sur les plaines infinies. Buvons donc l'eau magique du Léthé, revenons aux sources... Je m'en retourne à l'infans et, sans ne plus dire mot à son sujet, vous laisse découvrir l'espace merveilleux de Dourvac'h, dédié aux arts féériques.

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Dernier récit en date de l'écrivain (cf. sa bibliographie, que je détaille en bas de la chronique), Au Jardin est bien le récit de « deux enfants qui s'apprivoisent » dans un monde d'une grande beauté, dont le silence et le vide humain inquiètent pourtant grandement. Ainsi, une impression de trouble est distillée tout au long du roman, grâce au style "double" de l'écrivain, puis à la naïveté éventuelle des lecteurs (mais, bien sûr, je n'extrapole pas).
Nous retrouvons donc avec plaisir l'écriture poétique et enfantine de notre auteur, ici plus que de rigueur puisque les héros du conte, Carine et Damien, sont deux adorables têtes blondes respectivement âgées de 9 et 11 ans. Quoi de plus naturel, alors, que de leur avoir conféré la façon de parler qui sied à leur âge ?
Et ce style de la simplicité charmante n'a rien à envier à celui, précieusement forgé au détail près, du Parnasse
!

Car, à l'aide de peu de mots, formant phrases courtes et aériennes, Dourvac'h nous propulse dans l'immédiateté, dans la réalité sensible et palpable de la chose, de la situation (ce que font bien sûr tout aussi bien les auteurs du Parnasse...). Et, comme les lieux principaux du roman sont, en toute logique, ceux de la Nature (jardin, forêt, lac), nous ne pouvons que nous émerveiller devant la splendeur lointaine et éthérée d'un coucher de soleil, ou le mystère des reflets émeraudes des feuillages. Cependant, là est le trouble. Mais combien de Promeneurs-lecteurs n'ont pas été leurrés par l'apparente splendeur de ce monde, persuadés que la beauté, sa simplicité et son charme intrinsèques sont obligatoirement bienveillants, et que le bienveillant Dourvac'h ne pouvait pas avoir, de toute façon, plongé deux innocents enfants dans un monde hostile !
Réflexe de Pavlov ou non, il est pourtant une erreur d'assimiler le conte à une friandise dont le seul but est de régaler. Les versions édulcorées de Disney sont à l'origine de cet amalgame et ont en ainsi dénaturée la fonction.
Plus qu'un vulgaire récit divertissant sans fond, le conte a d'abord un rôle à remplir et qui est, au même titre que les mythes, de nous éclairer sur l'évolution psychique de l'être humain, de façon symbolique, en transposant le processus d'individuation à la vie de tous les jours, de façon archétypique (selon C. G. Jung).
(Ainsi, la lecture de tels récits auprès des enfants est très souvent bénéfique.)

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Dès lors, la noirceur de certains textes (comment ne pas penser aux contes des frères Grimm ou de Perrault ?) se trouve justifiée ; car cette horreur sans nom n'est que celle de l'inconscient, refoulée, tout comme la beauté apparente de la forêt d'Au Jardin cache en son sein le plus vil des poisons. Dans les contes aux fins heureuses, cette horreur se transforme, disparaît pour laisser place à un monde purifié et bienveillant, dès lors que le héros a trouvé en lui la solution et éliminé l'opposant qui le gênait pour trouver sa place au sein de la société.
Et c'est dans un tel schéma que semble se dérouler l'intrigue d'Au Jardin.
Carine et Damien sont « au centre de quelque chose » Ils le savent. Mais qu'est-ce que ce quelque chose ? C'est cela qu'ils devront découvrir. Les deux enfants sont là, « quelque chose arrive. [leur] arrive comme ça. [Ils l'ont] pas choisi. »
Au fil des pages, la raison de l'errance de Carine et Damien se fait jour, progressivement, dans leur esprit. Dès le début, le lecteur note avec étonnement que Damien est capable de répondre aux questions inquiètes de la demoiselle Carine sur leur environnement mystérieux, comme s'il connaissait depuis toujours, sans le réaliser, la clé de l'énigme :

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– Et le château ?
– Faut rentrer d'dans tant qu'les gens sont absents...
–  Y n'diront rien ?
– Y diront rien puisqu'on leur parlera pas... On les verra pas !
– Pourquoi ?
– Y s'ront jamais là...

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Ce savoir qui nous dépasse, cette conscience omnipotente qui sait et ordonne les choses à venir, brutalement et sans même avoir recourt au langage, ne la retrouve t-on pas dans nos songes, en tant que créatrice de ces derniers ? N'est-ce pas là la toute-puissance de notre Ça, l'incontrôlable et monstrueuse partie de nous, capable de nous révéler son contenu qui s'est amassé secrètement au fil de nos expériences de vie, et qui se divulgue toujours en nous submergeant, alors qu'il suffirait de savoir déchiffrer ses manifestations absconses pour enfin en prendre pleine possession et ainsi devenir les guides conscients de notre vie ? L'un des deux enfants, finalement, au vu de l'absurdité de leur situation, n'est-il pas en train de rêver ou, pire, de cauchemarder ?
Cependant, il s'agit là d'une question stérile, qui n'apporte aucun éclaircissement quant à la complexité de l'œuvre et du conte merveilleux en général. Car, si dans Alice au Pays des Merveilles, le songe de la jeune fille est ce qui justifie le merveilleux, dans les récits des grands conteurs (les Grimm, Perrault, Andersen, pour ne citer qu'eux), le merveilleux se justifie de lui-même, il est la réalité objective, son absurdité n'a pas à être expliquée rationnellement. Ce qui, au contraire, est à interpréter, ce sont les symboles, les correspondances qui forment l'intrigue même du texte et en font la consistance. En quelque sorte, l'absurdité du conte, produite d’elle-même, n'est qu'un déguisement qui a une signification cachée, et l'on pourrait affirmer que l'absurdité d'un songe renferme les mêmes archétypes.
Je passerai donc là les questionnements de Carine sur la possibilité que toute cette aventure ne soit qu'un rêve, et sur les réfutations qu'elle a trouvées pour se convaincre du contraire (quoiqu'il y a là-dedans un élément sur lequel je reviendrai en fin d'étude, en évoquant le thème de la transformation dans l'œuvre, par ailleurs très lié à l'animisme cher à Dourvac'h) ; ainsi que sur les angoisses terribles des enfants portant sur le bien-fondé de leur existence, d'autant plus que la réponse se révélera d'elle-même lorsque les enfants auront découvert la "clé", résolu l'énigme de leur condition.
Car, qu'ils existent ou non, il est évident qu'ils sont plongés tous deux dans un solipsisme effrayant (mais tous les solipsismes ne le sont-ils pas ?), qui ne s'achèvera qu'avec la (re)découverte bouleversante de l'Altérité, à la fin du récit.
À la manière d'Alice..., l'aventure d'Au Jardin commence presque directement.
Carine (dont la blondeur et la robe bleu pâle aux ailerons de libellule n'est pas sans rappeler la blonde Yvonne de Galais à jamais revêtue de sa robe de velours bleu sombre, parsemée d'étoiles d'argent ; Carine et Yvonne, toutes deux dames de fête) et Damien se trouvent mystérieusement réunis lors d'un goûter d'anniversaire où il se pourrait bien que la métamorphose qu'ils expérimentent temporairement – charmant jeu d'enfant – ne soit pas seulement fantasmée, mais belle et bien vécue dans sa réalité objective (et n'oublions pas que nous sommes dans le merveilleux !). (Mais, comme je l'ai dit précédemment, je reviendrai en bas sur le thème de la transformation.)
Puis, peu après, sans trop réfléchir, ils s'enfuient du jardin via une brèche, qui évoque le basculement de l'éveil au songe d'Alice, en passant le seuil du terrier, et en chutant vertigineusement dans un étrange puits.
Dès lors, Damien et Carine vont, à la manière d'Alice, ainsi qu'à celle du Petit Poucet, opérer une plongée dans l'inconscient (la forêt et les points d'eau profonde ne préfigurent-ils pas ce qui est caché ?) à la recherche de leur destin empirique ignoré, et qui les libérera de leur vision absurde dès lors qu'ils l'auront déchiffré derrière celle-ci.
En attendant, cet inconscient est menaçant. Mais nous pourrions penser que Carine et Damien, parce qu'Autrui semble (s') être annihilé, parce que, de la même façon que Poucet, ils doivent retrouver le chemin vers leurs maisons, – ce qu'au fond d'eux ils savent impossible –, en ayant en tête l'image froide et sourde de leurs parents et de leur foyer ; parce qu'ils sont seuls au monde, enfin, dans cette nature que seul un château (qu'ils repéreront, tout comme Poucet, en grimpant à un arbre) et une barque civilisent, ils y sont totalement fusionnés. Et c'est ici même que se situe l'ambivalence et l'angoisse : car, malgré la beauté sauvage des paysages, et la bienveillance qu'elle peut inspirer par amalgame, le décor n'est qu'un piège – le décor rejette . Au sein de ces paysages, en les murs du château, rôdent des présences invisibles qui vont elles de pair avec l'environnement, et qui menacent insidieusement de se manifester dans toute leur horreur, de surgir à tout moment, bouleversant alors l'ordre des choses déjà effrayant, et de façon plus infernale encore. Cette Altérité se révélera bel et bien, et repeuplera le monde d'Au Jardin (mais ne l'a-t-elle pas toujours peuplé ? N'est-ce pas plutôt les deux enfants qui, ignorant où ils se trouvaient, et tout absorbés dans leur idéal de liberté, niaient les autres et les limites que ces derniers étaient susceptibles de leur imposer si Carine et Damien découvraient la mission qui leur incombait, pour ces autres et pour eux-mêmes ?) de façon brutale mais positive.
Et c'est à ce moment là que nos deux aventuriers comprendront. Ils comprendront que depuis le commencement de leur errance, ils ont été attirés jusqu'à l'étrange barque par une fascinante jeune femme hantant la forêt (il est coutume, dans les contes, de rencontrer les figures féminines dans les bois. Ce qui n’est pas un hasard, car la première personne que voit un nouveau-né n’est-elle pas sa mère ? Et n’est-il pas fusionné à elle comme il l’est à l’environnement, avant que la séparation n’advienne, des années plus tard ?), – comparable au personnage de Lucy Westenra (Dracula), qui par ailleurs symbolise les deux côtés de l’être humain (basculant de l’extrême civilisation à la pure sauvagerie) – ; ils comprendront que cette barque sur laquelle ils aimaient à voyager, cet « un peu comme un abri », « protége[ant] du dehors » ne peut qu'avancer inlassablement dans le sens du courant, préfigurant la venue au monde, puis le temps qui passe, irrémédiablement…
 

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Tout se résout en somme assez vite, et Damien et Carine finissent par accepter leur sort parce qu' « [ils l'ont] pas choisi » Cependant, bien que ces autres aient posé des limites à leur liberté, rien ne les empêchera de « rev[oir] les étoiles », de rêver. Car au fond, les limites et les responsabilités que la vie en communauté met à notre omnipotence nous empêchent simplement de nous laisser submerger par notre imagination qui, comme dans les rêves, peut alors changer du tout au tout l'appréciation que nous avons du réel et la pervertir durablement. Accepter l'existence de l'Autre (en d’autres termes plus psychanalytiques, il s’agit d’accepter la fameuse castration), c'est donc s'éloigner de l'absurde et de l'angoisse du solipsisme, accrocher au réel, et ainsi maîtriser son imaginaire et ses rêves d'avenir, tout en assumant de devoir un jour partir et laisser sa place aux générations futures.
Et c’est tout cela que nous signifie Au Jardin ; toute cette évolution universelle de l’Humain à travers l’histoire de deux petits individus parmi la multitude, parties détachées du Tout mais Tout à la fois dans leurs quelques expériences de métamorphose – ou de métempsychose, ce qui serait, en ce cas, plus proche encore de l'animisme –, dont l’une est prise pour un songe par Carine, à moins qu'il ne s'agisse bien du "monde réel"…
Ces métamorphoses marquent l’instabilité de la nature, qui est aussi celle de l’enfant qui ignore encore la complexité de l’Autre alors perçu comme menaçant, pouvant s’introduire et bouleverser son monde intérieur, mais encore, celle de l’individu qui n’a jamais réussi à se fixer durablement sur un endroit précis de la Terre et dans l’esprit de l’Autre, ce Juif errant qui malgré tous ces efforts se sait partout invisible et inutile.
À la toute fin, Damien prévient Carine qu’une nouvelle transformation risquerait d’être irréversible, signe que la stabilité est acquise...
Et en ces heures où le monde n’a jamais été aussi instable, noyé dans l’événementiel et l’éphémère, rien n’est plus important que de se fixer des objectifs à notre échelle, et tournant tous autour de notre idéal d'accomplissement. Beaucoup de nos semblables oublient leur passé et se déresponsabilisent pour embrasser la gloire sur le moment (satisfaisant ainsi leur ego aux dépends d’Autrui), ou vivre sottement dans le présent et l'instinctif sans n’établir aucun rapport au passé ou au futur, en cela inconsciemment commandés par des idéaux sociétaux.
Le monde moderne n’est-il pas quelque peu comparable à l’état dans lequel se trouvaient Damien et Carine avant leur acceptation d’Autrui ? Ne sommes-nous pas en train de régresser, lors même que les idéaux de civilisation n'ont jamais été aussi fortement exprimés ?
Pourtant, nous ne devons jamais oublier que nous sommes tous le produit de l’Histoire, fils de et pères de.
N’en témoigne la première de couverture d’Au Jardin, noble hommage rendu ainsi à cette aïeule anonyme dont nous ne sommes très certainement pas nés, mais avec laquelle nous sentons pourtant une étrange et ineffable connexion à travers le temps (son sourire léger mais confiant ne nous y invite t-il pas ?).

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Nous ne devons jamais oublier que nous sommes avant tout les maillons d'une chaîne deux cents fois millénaire et que, séparés de cette chaîne, nous ne signifions plus rien. Connaître son passé et la façon dont il agit sur nous, sans oublier la dimension de l'Autre, c'est se civiliser, se connaître soi-même et ainsi devenir le guide de sa propre vie. Cette destinée que nous serons alors à même de forger, concernera tout aussi bien l'individu qui en est maître que les autres maillons.
Si les événements n'avaient précipité nos sociétés dans "l'Ère du Vide", peut-être qu'alors chacun de nous aurait continué, à son échelle, l'œuvre du Sens traduite dans l'Art, la Philosophie, l'Histoire et le Logos appliqué à tous les domaines de la vie. Ce « chacun de nous », bien sûr, signifie la communauté terrestre sans exception, et ce Sens exprime l'idée d'une destinée universelle de l'Humain noble mais vaine, qui serait pourtant sublimée par ce qui ne peut que l'élever vers le bonheur. Mais, avant d'être heureux, il importe d'abord d'avoir une destinée !

Au Jardin, de même que l’Oeuvre en général de Dourvac’h, renferme donc profondément cet idéal d’Humanité.
Cependant, s’il n’est ni facile de le déceler, ni de l’exprimer au premier abord (d’où cette présente chronique, qui se veut, hélas ! non exhaustive, mais qui nous appelle à d'autres réflexion plus adéquates sur les notions de Nature & Culture/Dyonisiaque & Apollinien), il reste qu’Au Jardin – dont j’ai pris soin de ne presque rien révéler de l’intrigue – est un conte au style atypique et étonnement aérien, cachant des mystères derrière chaque phrase, laissant ainsi libre court à l’imagination des lecteurs.
Pour autant, il ne faut pas oublier la quête aussi juste que terrible de Carine et Damien, les deux touchants héros de ce récit, si vrais et si présents que l’on ne peut se résigner à penser qu’ils ne sont que des êtres de papier...
Leur errance commence ici
, là où la brèche du mur entourant le jardin ouvre sur un pays immense, où le tragique le dispute à l'espoir...

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(1)  Attention !!!
Il ne faut surtout pas confondre auto-édition et compte d'auteur !

Cette dernière pratique étant fortement déconseillée. En effet, la plupart des éditeurs se proposant de publier à compte d'auteur vous demande, vous créateur, de les payer pour exécuter la tâche, ce qui est tout à fait illégal. Un auteur ne paie jamais un éditeur.
Je ne suis pas spécialisée dans le sujet (sûrement Dourvac'h nous en dira plus !), mais il convient de bien se renseigner avant de se lancer dans un compte d'auteur.

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bibliographie Dourvac'h :

La Compagnie des Fées (2002)
PanGéa (2003)
Le Lutin dans la Maison
(2004)
Petites Fées du Miroir
(2005)
L'Été et les Ombres
(2005)
Au Jardin
(2007)
Les Îles (PanGéa /2)
(2008, à venir)

*

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Texte : Esis

(reproduit avec son aimable autorisation)

... et retrouvez tous les jours

notre géniale et modeste Amie

en son superbe Site-Taverne

"A l'Amiral-Benbow"

http://esisamiral.canalblog.com

*

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« Qu'est-ce qui est là-bas ?
On dirait bien une femme...
Une femme au-dessus de l'eau...

Elle doit être sur un rocher...

Aussi toujours cette brume !

[...]


La femme a étendu son bras en arrière d'elle puis elle a disparu.
La brume l'a avalée.
Elle portait une robe longue et sombre de l'ancien temps (violette ou noire, je n'sais plus).

Il soufflait de ce vent qu'on sent derrière la brume : ça faisait se balancer sa robe en même temps que ses cheveux noirs, très longs.

Seuls son visage et ses mains étaient clairs, même blancs.
À quoi elle ressemblait ?
Ni décharnée, ni vieille : elle était belle...
»

*

extraits de l'ouvrage de

Dourvac'h

Au Jardin

La Compagnie des Fées auto-édition-diffusion

(1er tirage : décembre 2007 : 30 exemplaires)

*

ICONOGRAPHIE :

Peinture en haut de l'article : Edward Reginald FRAMPTON : Fairy Land

Photographie des genêts : Dourvac'h, Viviès, printemps 2008

Toutes les photographies noir-et-blanc recolorisées

sont extraites des ouvrages de :

(1) Jean-Luc MAYAUD, Gens de la terre, éditions du Chêne, 2002

(2) Hippolyte GANCEL, Il ya un siècle... nos villages, Editions Oust-France, 2006

* Trois jeunes filles et un jeune garçon sous le noyer dans un champ de Saint-Marcelin (Isère),

le mercredi 10 octobre 1928 (1)

* Femme binant le champ de chicorée de la ferme de Mayoc-les-Crotoy (Somme),

le 9 juillet 1910 (détail) (1)

* Cour de ferme à Donville (Manche) - collection J.-C. Treignier (détail) (2)

* Bergers des Landes (1)

* Cour de la Mairie-Ecole, Fixin (Côte-d'Or), vers 1900 (détail) (1)

* Place à Palaminy (Haute-Garonne), juin 1934 (détail) (1)

* Les premiers pas, région de Nantes (2)

* Intérieur breton à l'heure du repas (détail), fin du XIXème siècle (1)

* Récolte de résine des pins maritimes dans la forêt des landes en 1907 (1)

Photographie couleurs : jeune Bigoudène en coiffe à Pont-l'Abbé (Auteur inconnu)

Illustration ci-dessus : aquarelle de Carl Larsson, choisie par Esis

*

(1) Et pour en savoir plus, quelques liens vers des sites promouvant l'auto-édition :

www.schemectif.net/Auto-edition/Guide.html 

http://www.auto-edition.com/

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Commentaires
S
Avant que de me pencher ( telles les femmes des photos ...) sur l'analyse passionnante, époustouflante d' Au Jardin ( que j'aimerais tellement lire et voir d'abord ...) je tiens à féliciter vivement l'étonnante, la précoce, la brillante, l'admirable Esis ! Si rare une telle passion, une telle intelligence et finesse et culture chez une si jeune femme ! ...( mais qu'importe l'âge bien entendu ! )<br /> <br /> Revenons au monde de Dourvac' h, oui, je partage ton avis chère Esis ...<br /> Très vite en effet il m'est apparu évident ( et de ce fait troublant ) que je touchais à un site rempli d'humanité, un site-fée où nature ( vraie ) et culture ( vraie )s'offraient à nous enfants dans l'âme pour nous ravir, nous enchanter ...<br /> <br /> Fée de rêves ...<br /> <br /> Attirance, retour à l'infans et enchantement obtenus grâce à l'alliance subtile de mots simples, enfantins, poétiques et d'images ou de photos pourvues d'Histoire qui sont instantanément le refuge de ces sensations profondes, immédiates qui vont chercher, émouvoir rassurer l'âme ...<br /> <br /> Fée d' âmes ...<br /> <br /> Au contraire du vide et du désenchantement de l'époque, Dourvac' h façonne et tâche de créer du Beau, du plein, de l'âme, de l'éternité même ...<br /> <br /> <br /> Une quête de sens vraie, délicate ...<br /> <br /> C'est pourquoi tant de visiteurs ici ... même si seules les fées ( plus courageuses ? plus fines en majorité, allez je te l'accorde ! )laissent de petites traces de leur passage ...<br /> C'est une gageure et un effort à saluer que d'essayer de donner à retrouver le sens du Beau, le goût en nous de l'enfance qui ne nous quitte jamais ... et tu le fais avec simplicité, coeur, sincérité et empathie ...<br /> <br /> Pour tout cela ... pour le plaisir que je trouve à chaque fois sur ton espace féérique, pour ton accueil ( oublions hum nos chamailleries de bonne guerre !)ta gentillesse, ta constance, pour toutes les fées de vie que j'ai découvertes en te visitant ...<br /> <br /> Merci mon âmi !<br /> <br /> Fée de beaux ...<br /> <br /> ... rêves !<br /> <br /> Servanne
Répondre
K
En lisant le commentaire et ce passage au-delà des "barrières " imposées, l'évocation de la femme - si belle -, je ne peux que penser aussi au passage du seuil et à cet autre monde qui nous attend après la mort en attente de nouvelle naissance ... <br /> Merci pour les partages à vous deux ... ;-))
Répondre
F
et dzing !!<br /> j'avais déjà vu et je suis toujurs très contente de faire un saut sur ton site "magique" ;o)<br /> re dzing !!
Répondre
C
PS: le lien sur l'auto-édition ne fonctionne pas. Quand je clique, j'ai "Impossible d'afficher la page"...
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C
Un texte très complet qui semble très bien cerner toutes les facettes de l'oeuvre de Dourvac'h, et elles sont nombreuses et complexes.<br /> Sûrement quelqu'un qui te connait bien et qui suit tes écrits depuis longtemps. En tout cas merci de nous le faire partager et de nous faire réfléchir sur "une vue d'ensemble". Mais comme les commentateurs précédent, je dirai à l'unisson que ça mérite un retour et une relecture plus approfondie.
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